Rousseau

Les philosophes



 'J'

e consultai les philosophes, je feuilletai leurs livres, j'éxaminai leurs diverses opinions.  Je les trouvai tous fiers, affirmatifs, dogmatiques, même dans leur scepticisme prétendu, n'ignorant rien, ne prouvant rien, se moquant les uns des autres, et ce point, commun à tous, me parut le seul sur lequel ils ont tous raison.  Triomphans quand ils attaquent, ils sont sans vigueur en se deffendant.  Si vous pesez les raisons, ils n'en ont que pour détruire ; si vous comptez les voix, chacun est réduit à la sienne ; ils ne s'accordent que pour disputer.  Les écouter n'étoit pas le moyen de sortir de mon incertitude.

[...]

Quand les philosophes seroient en état de découvrir la vérité, qui d'entre eux prendroit intérest à elle ?  Chacun sait bien que son systême n'est pas mieux fonder que les autres ; mais il le soutient, parce qu'il est à lui.  Il n'y en a pas un seul qui venant à conoitre le vrai et le faux ne préféra le mensonge qu'il a trouvé à la vérité découverte par un autre.  Où est le philosophe qui pour sa gloire ne tromperoit pas volontiers le genre humain ?  Où est celui qui dans le secret de son coeur se propose un autre objet que de se distinguer ?  Pourvu qu'il s'élêve au-dessus du vulgaire, pourvu qu'il efface l'éclat de ses concurrens, que demande-t-il de plus ?  L'essentiel est de penser autrement que les autres.  Chez les croyans il est athée, chez les athées il seroit croyant.

 

 

Émile, Livre IV, « Profession de foi du vicaire savoyard », § 12, dans Jean-Jacques Rousseau – Oeuvres complètes, tome IV, Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard), 1969, p. 568.

Comparez ce jugement avec celui que David Hume rendait public à la même époque

 

 

 

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